AccueilPhilanews 03-2020

© Shutterstock LE SILENCE D’ALZHEIMER Si bpost est allée frapper à la porte de Heike Villavicencio, c’est en raison de l’implication de cette dernière dans Postkantoor 00/00/00, une organisation regroupant des lettres rédigées par ou destinées à des personnes défuntes. L’auteur de la lettre reçoit une réponse de ce bureau de poste, sous la forme d’une réinterprétation ou d’une illustration. Heike fait partie des illustratrices attitrées de cette association depuis quelques années déjà : « J’ai été agréablement sur- prise que bpost me demande de conce- voir un nouveau timbre-poste. J’avoue avoir un faible pour les lettres et cartes manuscrites ». Atout symbolique Heike s’est inspirée pour son projet du vécu des personnes frappées par la mala- die d’Alzheimer. « J’ai tenté tout d’abord de m’approprier autant que possible la façon différente dont les patients perçoivent et ressentent le monde. Les deux personnages centraux à l’avant-plan représentent un homme âgé souffrant de la maladie, flanqué d’une silhouette blanche qu’on peut interpréter de diffé- rentes façons. Il peut aussi bien s’agir d’un petit-enfant rempli d’amour, d’un membre du personnel soignant ou d’un souvenir surgi du passé. » Heike a intentionnellement dessiné le patient Alzheimer de manière floue : « La maladie brouille la personnalité et les souvenirs. La personne qui prend soin de l’homme atteint de démence est derrière lui, au sens propre comme au sens figuré. Son regard paraît plein d’affection, mais en même temps, il se détourne : elle doit prendre congé peu à peu de l’homme qu’elle connaissait ». Pour l’arrière-plan, il a fallu chercher un peu plus longtemps. « Je me suis finale- ment décidée pour une surface vague aux teintes bleues et blanches, ce qui renvoie à nouveau à la réalité troublée. » Heike ne voulait pas imposer sa symbolique. « Je juge important que les gens puissent avoir leur interprétation et leurs sentiments propres par rapport à ce timbre-poste. » Un feuillet de timbres-poste adapté Elle s’est aussi intéressée à la symbolique en composant le feuillet de timbres-poste. « J’ai souvent recours aux fleurs et à leur signification symbolique dans mon travail. Mon choix s’est porté sur le myosotis (ne m’oublie pas, en grec) de façon à faire le lien avec la démence. Cela donne à l’ensemble un contrepoids poétique par rapport à l’image figurant sur le timbre- poste. Cette fleur véhicule une symbolique double, qui jette un pont entre l’oubli et l’amour. Ce qui est particulier, c’est que je n’ai découvert que plus tard que cette fleur est aussi le symbole officiel de la maladie d’Alzheimer ». Le schéma de perforation est moins rigide qu’à l’habitude. Les timbres-poste semblent partir dans tous les sens. « Cela symbolise également une réalité qui se fait plus chaotique et la vie qui perd de sa structure. En retirer un timbre donne à nouveau le sentiment de perdre une pièce du puzzle. » Combinaison de trois techniques L’œuvre de Heike se fonde de manière typique sur l’association de techniques d’impression avec la peinture et le dessin. « Souvent, j’attaque mon projet à partir d’une photo imprimée sur papier. Une photo est permanente et symbolise la ré- alité. J’y colle ensuite mon propre monde en retravaillant l’illustration au crayon et à la peinture. Les traits de crayon sont très fragiles : on peut les gommer à tout moment. Ce qui renvoie une nouvelle fois au silence d’Alzheimer, comme je préfère l’appeler. » Flou et précis à la foi Alzheimer en une seule image Émission de timbres-poste limités 14 La maladie d’Alzheimer implique tant de choses qu’il est compliqué de l’évoquer au travers d’une seule image. C’est pourtant ce qu’est parvenue à faire l’illustratrice Heike Sofia Villavicencio Rammeloo (33) dans le cadre de cette émission spéciale. Elle a opté pour une image estompée et floue qui combine la photographie, la peinture et le dessin au crayon. 10